Résumés

Carole Aurouet - Retour d'expériences sur l'influence des archives sur l'histoire surréaliste : les cas Robert Desnos et Jacques Prévert

(Université Gustave-Eiffel)

"J'ai lu l'argumentaire et je pense que je pourrais intervenir le deuxième jour, le matin, dans la partie consacrée à l'accès aux archives comme perspectives de recherche, sur les questions de la disponibilité de certaines archives qui entraine une mise en récit, asymétrique ou fragmentaire, et sur l'incidence des archives sur l'historiographie du surréalisme. Je pourrais proposer un retour d'expérience double, très pragmatique, car il serait à mon sens opportun de mettre en regard les archives Desnos (disponibilité, gratuité, numérisation, Almé/BLJD, utilisation des archives en ligne, etc.) et les archives Prévert (privées, contrôlées, payantes, dispersées car en partie vendues, etc.), deux cas totalement opposées, deux cas d'écoles engendrant des postérités très différentes avec des conséquences évidentes sur l'historiographie, tributaire des archives."


Catherine Gonnard - Révoltes et souvenirs du surréalisme dans les archives de l’INA

(Institut national de l’audiovisuel)

En 1964, la télévision se mobilise autour des 40 ans du surréalisme, une édition spéciale de 10 minutes des actualités télévisées du 20h le 18 avril lui est même consacré. Depuis quelques années déjà la télévision et la radio se font mémoire du moment surréaliste aussi bien pour la littérature, les arts plastiques que le cinéma. Les témoignages se multiplient d’autant que plusieurs générations se réclament encore du mouvement et que quelques journalistes anciens résistants leur tendent avec plaisir micros et caméras.


Tanguy Habrand - Les archives du surréalisme belge : cessions et stratégies d’acquisition des fonds surréalistes aux Archives et Musée de la littérature belge

(Archives et Musée de la Littérature ; Université de Liège)

Fondés en 1958, les Archives et Musée de la Littérature (AML) sont le principal centre d’archives, de documentation et de recherche sur le patrimoine littéraire, éditorial et théâtral en Belgique francophone. Les collections s’y organisent en fonds de référence pour des auteurs tels que Henry Bauchau, Madeleine Bourdouxhe, Jean de Boschère, Conrad Detrez, Marie Gevers, Franz Hellens, Maurice Maeterlinck, Odilon-Jean Périer, Dominique Rolin ou Jean-Philippe Toussaint.

Pour des raisons qui tiennent à la vie du mouvement surréaliste et à celle de ses membres, la constitution de fonds d’archives surréalistes belges a connu une accélération dans le dernier quart du xxe siècle. Parmi ceux-ci, le fonds Marcel Mariën, confié aux AML par la Bibliothèque royale en 1995 (comme le fonds Scutenaire et Hamoir), dont l’intérêt concerne aussi bien Mariën que d’autres figures du mouvement. Le fonds Paul Nougé relève partiellement de cet ensemble, mais a pris forme en plusieurs étapes, depuis le don de son épouse en 1973 jusqu’aux acquisitions ultérieures des AML et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. D’autres fonds se sont élaborés dans la durée, de manière hybride, comme les fonds Gabriel et Marcel Piqueray (entre 1971 et 1989, complété par un don en 2022) et Phantomas / Théodore Koenig (dons et achats à Théodore Koenig entre 1981 et 1996). Plus près de nous, les fonds Rachel Baes (achat de la FWB, 2000), Paul Colinet (don de Robert Willems, son neveu, en 2004), Christian Dotremont (dépôt de la Fondation Roi Baudouin, 2011), Armand Permantier (don de Xavier Canonne, 2021), liste non exhaustive, permettent d’embrasser largement le surréalisme belge dans ses ramifications et générations successives.

Cette communication entend interroger l’histoire de ces fonds et les choix qui se posent aujourd’hui pour une structure telle que les AML en matière d’enrichissement de ses collections. Depuis 2022, Gérard Willems (fils de Robert W.) procède à des envois postaux réguliers qui laissent entrevoir un fonds conséquent, complétant les archives Colinet, Piqueray ou Tom Gutt. Les AML acquièrent dans le même temps des documents en vente directe ou aux enchères, comme en 2023 pour le même Tom Gutt, avec un dossier préparatoire à une édition de cartes postales d’Irène Hamoir et Louis Scutenaire, constitué de 850 films transparents. À quelques exceptions près, l’époque des « grands fonds » semble toutefois révolue, ce qui implique de nouvelles stratégies.

Il s’agira de montrer en quoi la politique d’accroissement dépend des objectifs poursuivis en matière de valorisation, tout en ayant à tenir compte des obstacles liés à la spéculation et à la dispersion des collections. Régulièrement sollicités pour des expositions, les AML ne peuvent faire l’impasse sur les documents qui se prêtent le plus à la monstration auprès du public, tout en poursuivant des objectifs strictement patrimoniaux, qui ont notamment pour but de servir la recherche menée à l’extérieur ou par les AML. La nature des objets visés, conservés et valorisés est au cœur de la réflexion, et oriente la définition de l’archive littéraire et éditoriale surréaliste.


Christina Heflin - Eileen Agar’s Self-Curated Archival Legacy at the Tate

(DFK/Centre allemand d’histoire de l’art)

The study of archival materials entrusted to the Tate Archives by British Surrealist artist Eileen Agar (1899-1991) presents its own issues within the scholarship of Surrealism, ranging from accessibility to availability and materials in different locations. On one hand, censorship and filtering – whether by the artist or by keepers – create an artificial construction of the artist’s life and career. On the other, sensitive materials can create issues of privacy, and an archive will always feature a selection of relevant materials, as it cannot include every item from the kitchen “junk drawer”. Nevertheless, someone chooses what remains, and these choices are not neutral, but rather with posterity in mind. Furthermore, when focusing on Agar, questions of institutional narrative shaping, biases and gatekeeping must be considered and accounted for in the way they potentially affect research and legacy.

Initially intended to only donate her items relating to Paul Nash, documentation demonstrates a shift by which she came to recognize her own significance within the history of avant-garde art in Britain. I aim to present Agar’s archives, considering them from when I first encountered them in 2017 and the witnessing of the evolution of the Tate’s organization of these archives from several un-inventoried sections and mislabeling to progressively finer cataloguing and increasingly digitized archival sections over the years, indicating a gradual prioritization of the collection. I will also explore issues of narrative and methodology as well as obstacles when researching Agar’s materials and work. She has more recently garnered the attention of scholars – following her 2021-22 show in the UK and the republication of her 1988 memoire, A Look at My Life in the spring of 2024. This recognition has been long overdue and has created a new desire for access to her archives, bringing in questions of what has and has not been catalogued. The lack of standardized archival curatorship leads to discrepancies regarding timelines, conditions of production and reception, complicating the researcher’s task and adding another layer to consider regarding prioritization.

Moreover, the independent, investigative quality of archival research countered with the collaborative aspect of building from previous scholarship work together to reveal the essence of the archives. In the instance where an artist has the opportunity to make arrangements for a donation of their archives, like between Agar and the Tate, both a narrative and a legacy are fashioned. This curation of both how the artist would like to be remembered and the way in which archivists and curators choose to present materials as worthy of consideration shapes the canon of art history.


Manon Houtart - Les archives radiophoniques du surréalisme : état des lieux et perspectives

(NaLTT, Université de Namur)

Depuis le début des années 2000, à la faveur d’une amélioration croissante des conditions de consultation, l’intégration des archives sonores – et plus largement audiovisuelles – aux études littéraires connaît un remarquable essor, dont résulte une progressive reconnaissance de leur intérêt heuristique : ces corpus se révèlent susceptibles d’éclairer à nouveaux frais l’histoire littéraire, les trajectoires et postures auctoriales ou encore l’évolution de la diction poétique. Sur la base de ce constat et des travaux récents qui le fondent, on peut se demander dans quelle mesure l’exploration des archives radiophoniques du siècle dernier peut renouveler l’histoire des surréalismes français et belge et de leurs environs.

Dans le cadre de cette communication, nous proposons de revenir d’abord brièvement sur les rapports ambivalents entre le surréalisme et la radio. Si ces deux phénomènes se développent de façon concomitante (1924 voit naître le Manifeste, mais aussi les premières émissions littéraires), se nourrissent d’intuitions communes (la voix est envisagée de part et d’autre comme un outil de sonde psychique) et partagent certains objectifs (celui, par exemple, de favoriser une poésie « faite par tous »), les relations entre le médium et le mouvement sont complexes : leurs points d’intersection les plus significatifs se situent surtout dans les marges du groupe, où l’on croise l’activité radiophonique d’un certain nombre de dissidents et concurrents, tels que Desnos, Artaud, Soupault, Paul Dermée, Émile Malespine, Lise et Paul Deharme, Ribemont-Dessaignes ou encore Éluard. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale toutefois, la radio devient un vecteur privilégie de mise en scène des écrivains, un instrument de partage poétique et un laboratoire d’expérimentation littéraire hors du livre : le surréalisme – que d’aucuns frappent alors d’obsolescence – saura tirer profit de cette triple opportunité et ne manquera pas d’y importer ses principes et topoï.

De ces interventions et productions radiophoniques surréalistes, il résulte un large éventail de traces dont nous chercherons à fournir un état des lieux dans la deuxième partie de notre exposé. De quelle nature sont ces contributions (slogans publicitaires, créations, lectures, entretiens, anthologies…) ? Quels types de sources (archives sonores, correspondances, programmes, tapuscrits…) en subsiste-t-il ? Dans quels lieux (en France et en Belgique) sont-elles conservées et selon quelles conditions d’accès ? De quels usages font-elles l’objet ?

Nous nous attacherons, en troisième lieu, à dégager les savoirs et questions qui affleurent lorsqu’on appréhende le surréalisme au prisme des archives relatives à la radio. Cette approche nous semble en effet ouvrir au moins deux perspectives majeures. La première concerne l’étude des voies alternatives empruntées par les dissidents ou exclus du mouvement, qui en perpétuent l’héritage au sein d’autres espaces d’expression et de reconnaissance. La seconde concerne la fabrique historiographique et mythographique endogène du surréalisme, dont il s’avère que la radio s’est faite l’adjuvante.


Michel Murat - Qu'est-ce que le surréalisme ? : ce que les archives nous en disent

(Sorbonne-Université ; École normale supérieure)

La question des archives est pour ainsi dire consubstantielle au surréalisme, qui, à la différence d'autres mouvements d'avant-garde comme le futurisme italien ou le mouvement dada, n'a jamais prétendu faire table rase du passé. Cela vaut pour le passé de la littérature, comme le montrent les anthologies d'Eluard et de Breton, ainsi que les essais de celui-ci sur le romantisme et le symbolisme, mais aussi pour les archives que le mouvement lui-même a produites au cours de sa longue histoire, et qu'il n'a cessé d'exploiter et de recycler dans ses revues et ses manifestes. Il en résulte que notre réception du surréalisme est dans une large mesure conditionnée par l'existence et la disponibilité de ces archives. La compréhension des activités collectives est tributaire des documents relatifs aux revues, presque tous conservés par Breton, et utilisés par lui pour la rédaction des Entretiens de 1953. La part prise par Eluard aux expositions des années 1930 et au Dictionnaire abrégé du surréalisme est de ce fait plus difficile à apprécier, et risque d'être sous-estimée. Mais le biais le plus important concerne les participants du mouvement dont les archives ont été partiellement détruites, comme Aragon, pour qui il ne reste rien d'avant 1943; conservées par d'autres dans des conditions que nous ne pouvons pas déterminer, comme c'est le cas de Desnos, pour qui de nombreux documents sont disponibles dans le fonds Breton et le fonds Tzara, mais pour qui nous disposons pas d'un fonds propre; verrouillées par l'auteur (ou sa descendance), comme l'a fait René Char au profit d'une entreprise d'auto-mythification. Il ne s'agit pas, dans notre propos, de réévaluer des figures qui auraient été volontairement ou non minorées, mais de proposer à partir de ces exemples quelques réflexions sur le rapport entre archive, constitution du corpus, figure auctoriale et réception de l'œuvre.


Antoine Poisson - Yoyo surréaliste : Breton au retour de la guerre en ses archives

(UMR Thalim, CNRS – ENS – Sorbonne Nouvelle)

La période qui sépare le retour de Breton en France et la création de la revue Médium est une période complexe, féconde en recommencements et incertitudes. Dans la suite du volume Inactualité du surréalisme (dir. Olivier Penot-Lacassagne) et de l'Histoire du surréalisme ignoré (Anne Foucault), on s'attachera à étudier le statut de Breton et les différentes tentatives de renouvellement du surréalisme entre 1946 et 1951, qui oscille entre courants "hérétiques" du surréalisme (Néon, Surréalisme révolutionnaire) et rejet par le champ artistique, face à l'existentialisme et au prestige du P.C. Breton s'attache donc à reconstituer à plusieurs reprises un mouvement surréaliste, autour de l'éditeur Alain Gheerbrant (directeur de K. éditeur), de la revue Néon, de Cause et de Solution surréaliste ; profitant de sa stature d'avant-guerre, il reçoit un abondant courrier qui assure son statut de célébrité littéraire, en même temps qu'il semble l'isoler parmi les gloires passées de l'entre-deux guerres, "entre le yoyo et le charleston" (Sartre). 

Une vulgate courante (par exemple Polizzotti) a vu dans cette période un Breton peu empressé de remettre le surréalisme en marche : au contraire, l'étude de trois domaines d'archives (série Lettres reçues au retour en France sur le site Atelier André Breton ; cahier de permanence de la galerie La Dragonne, récemment acquis par la bibliothèque Kandinsky ; ensemble de lettres passées récemment en salle des ventes (en particulier Christie's)), montre que Breton envisage avec vigueur et enthousiasme plusieurs projets de renouvellement à l'échelle internationale, dont aucun ne prend réellement forme, sans doute du fait d'un manque générationnel (Breton est insatisfait des propositions reçues à la Dragonne), d'une incompatibilité des positions surréalistes avec la France de la Libération, et d'un risque de disparition du surréalisme dans ses nouvelles formes. Aller-retour, donc, du surréalisme tressautant au bout de son fil, alors qu'il manque de disparaître lors de l'affaire Pastoureau, et se renouvelle définitivement autour de la revue Médium : dans ce jeu de yoyo, les archives éclairent un moment essentiel, car par essence inachevé ; leur récente redécouverte permet d'étudier le surréalisme dans son activité, en dépit d'une apparence de faillite ou de repli, du mouvement.


Jonathan Pouthier - Films fantômes. Surréaliser l’archive

(Musée national d’art moderne, Centre Pompidou)

Dans son ouvrage Le surréalisme au cinéma (Arcanes, 1953), Ado Kyrou décèle la présence de films-fantômes dans sa cinéphilie. Avec l’attachement aux forces créatrices de l’inconscient que l’on connaît des surréalistes, l’auteur émet l’hypothèse que certains films puissent n’être que des pures créations de l’esprit. L’histoire du cinéma surréaliste regorge de ces films aux statuts instables. C’est à partir de ce paradoxe – l’œuvre comme fiction ou la fiction d’une œuvre - qu’il sera question d’interroger le rôle accordé à l’archive dans les récits de l’histoire de l’art. Que reste-t-il à archiver de films qui n’ont jamais réellement existé ? Est-il envisageable de surréaliser en retour l’archive ?


Francesca Rondinelli - Les Archives Georges Henein et l’historiographie du surréalisme en Égypte

(Université Grenoble-Alpes)

Écrivain, polémiste, journaliste, pamphlétaire, poète, mécène, critique d’art, Georges Henein (1914-1973) est un grand intellectuel cosmopolite, membre du surréalisme jusqu’en 1948. S’exprimant majoritairement en langue française et se souciant de moins en moins d’être reconnu, voir même publié, par un public ou par un milieu littéraire de plus en plus méfiant – le considérant à plusieurs égards comme « étranger », tant au Caire qu’à Paris –, Henein n’a pas laissé d’« œuvre » pour la postérité et a éparpillé son écriture d’une lucidité sans merci dans nombre de pamphlets, de poèmes, de récits brefs, de chroniques, réunis (partiellement) seulement en 2015 chez Denoël. La localisation de ses archives – conservées par les ayants-droit à Paris et par l’Institut Français au Caire – et un long travail solitaire d’identification, de tri, de catalogage, de numérisation, ont permis la redécouverte d’une série de documents  et  d’une  correspondance  importante,  qui  éclairent  l’incontournable  figure  de  cet importateur d’avant-gardes dans le monde arabe.

Mon travail d’archéologie littéraire, finalisé à la reconstitution du contexte d’éclosion des avant- gardes en Égypte et axé aussi bien sur des auteurs déjà connus en France (Georges Henein, Joyce Mansour, Edmond Jabès), que sur des figures mal connues, voire inconnues, du milieu francophone et italophone d'Égypte, a été continuellement enrichi par des découvertes, petites et grandes, faites dans les archives Henein. En charge de ses archives privées depuis bientôt dix ans, j’ai souhaité mettre à jour des pages de l’histoire littéraire et artistique de l’Italie, de la France, de l’Égypte, des années vingt aux années  cinquante,  oubliées  ou  non-interrogées  à  cause  de  leur  situation  « dé-centrée »  au  niveau géographique, historique, culturel. La grande quantité de documents, de lettres, d’agendas, de cahiers, écrits parfois dans une superposition de langues (le français, l’arabe, l’italien) et d’alphabets, demande une approche raisonnée visant à faire émerger la finesse de son écriture, la variété de ses intérêts, l’actualité de sa pensée. La génétique de son écriture ainsi que le grand nombre de correspondants avec qui Henein entretenait des rapports épistolaires, parfois pendant des décennies, peuvent trouver dans les méthodes des humanités numériques un fondamental instrument d’organisation, d’exploitation et de valorisation. Le tissage des relations temporelles, géographiques, thématiques, de la très riche correspondance de l’auteur de L’Appel à l’ordure – avec André Breton, Nicolas Calas, André Gide, André Malraux, Charles Duits, Raoul Ubac, Ramsès Younane, Victor Brauner, entre autres – permet une mise en récit de moins en moins fragmentaire de l’histoire des avant-gardes en Égypte et du surréalisme international.


Georges Sebbag - Qui dit surréalistes dit archivistes

(écrivain)

La rédaction de procès-verbaux et la conservation de documents sont inhérentes aux diverses pratiques du groupe surréaliste – revues, tracts, séances de recherches, assemblées générales, enquêtes, jeux, manifestations et expositions. On peut citer à cet égard, les documents relatifs aux sommeils hypnotiques de l’automne 1922, le cahier de la Permanence du Bureau de recherches surréalistes (octobre 1924 - avril 1925) ou les procès-verbaux des séances du Groupement avec des membres de Clarté et de Philosophies (octobre et novembre 1925). C’est dans ces conditions que Simone Breton, André Breton, Michel Leiris ou Raymond Queneau ont pu être désignés comme secrétaire documentaliste ou archiviste. Une part importante de cette documentation interne, dans un souci de transparence et même de scandale, est rendue publique, comme les « Recherches sur la sexualité » (La Révolution surréaliste, 15 mars 1928) ou les « Recherches expérimentales sur certaines possibilités d’embellissement irrationnel d’une ville » (Le Surréalisme au service de la révolution, 15 mai 1933).

Mais cet attachement au document et à l’archive – qu’on pourrait aussi rapporter au rôle de conseiller d’Aragon et Breton auprès du collectionneur Jacques Doucet – se double d’une volonté de relater, voire de maîtriser, l’histoire du mouvement et de l’inscrire dans une longue durée. En septembre 1922, Aragon publie dans Littérature, nouvelle série, n° 4, « Projet d’histoire littéraire contemporaine », à savoir le plan très détaillé d’une histoire littéraire et artistique, balayant toute une période allant de l’été 1911 à l’été de 1922. Le plan est bien structuré et bien daté, en fonction de deux morts, celle d’Apollinaire et celle du mouvement Dada parisien. Breton relaye l’autobiographie du groupe surréaliste dans La Confession dédaigneuse puis dans la première partie de Nadja, où surgissent Péret, Éluard ou Desnos, alors que dans la seconde partie, il relate par le menu la rencontre avec Nadja, une rencontre qui appartient elle aussi à l’historiographie du groupe. En 1952, à l’occasion de ses entretiens radiophoniques avec André Parinaud, Breton se fait à nouveau l’historiographe de son mouvement de 1913 à 1952. Il a pu mener un récit scrupuleux de toutes ces années parce qu’il détenait des documents de première main, qu’il avait soigneusement conservés à dessein.

En 1909, le futurisme s’empare du futur proche. En 1916, les dadas de Zurich occupent le créneau du présent. Les surréalistes quant à eux décident de couper le fil du temps pour avoir accès indifféremment à des événements présents, passés ou futurs. Aiguillonnés par le hasard ou conduits par leur désir, ils tentent de déceler des durées scintillantes. La flèche du temps, le temps mesuré et quantifié, la chronologie, l’irréversibilité, le devenir historique, dialectique ou eschatologique, tous ces concepts temporels sont bousculés et renversés. Le fil du temps cède la place au temps sans fil. Paradoxalement, c’est à la lumière de leur dérèglement des horloges qu’il faudra apprécier leur constante volonté de documenter, archiver et relater leur propre histoire.


Karla Segura Pantoja - Où sont les archives des femmes artistes surréalistes ?

(CY Cergy Paris Université ; Archives of Women Artists, Research and Exhibitions)

Alors que les archives de plusieurs grandes figures masculines du surréalisme font partie des collections d’institutions patrimoniales, on peut se demander où se trouvent les archives des femmes artistes surréalistes. Pour replacer les artistes femmes dans l’histoire du surréalisme, les archives s’avèrent souvent difficiles d’accès aux chercheurs et chercheuses. Faisant partie de collections privées ou dispersées, les archives des femmes surréalistes sont des témoignages précieux de leur participation dans le mouvement. Dans un premier temps, nous proposerons un panorama de la conservation des archives des femmes surréalistes en France et à l’étranger. En second lieu, nous aborderons les cas particuliers des archives de Leonora Carrington et Remedios Varo. Enfin, nous présenterons le travail de l’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions), ainsi que d’autres démarches archivistiques qui permettent de mieux représenter les œuvres des femmes surréalistes et par conséquent de mieux comprendre la diversité des voix qui composent le surréalisme.


Charlotte Servel : À la recherche de trésors cachés : les archives méconnues du cinéma surréaliste

(Université Grenoble-Alpes)

Le nombre limité de films réalisés à partir de scénarios écrits par des surréalistes et leurs conditions de diffusion ultérieure ont alimenté de nombreux fantasmes sur la production cinématographique des surréalistes. Perçus comme des poètes éloignés de toute considération matérielle, les surréalistes se seraient désintéressés des questions financières et techniques liées à l'industrie cinématographique et n'auraient pas cherché à voir réaliser leurs scénarios, qu'ils auraient conçus uniquement comme une expérimentation d'un nouveau genre littéraire.

Cependant, l'examen des archives scénaristiques des surréalistes révèle que leur format souvent proche d'un simple récit au présent correspond aux demandes du marché, le terme « scénario » étant entendu pendant les années 1920 notamment comme « idée de films ». On observe aussi que plusieurs fins sont proposées pour s'adapter aux exigences de la production et que plusieurs versions traduites existent afin d'accroître leurs chances de réalisation, y compris à l'étranger.

Mais ces archives ne se dévoilent pas d'elles-mêmes, il faut partir à l'aventure pour les dénicher ! Elles sont dispersées entre plusieurs institutions (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Cinémathèque française, Bibliothèque Kandinsky du musée national d'art moderne Centre Pompidou), et parfois même à l'étranger (Museum of Modern Art). Certaines ont été déposées récemment (Fonds Pierre Prévert à la Bibliothèque nationale de France en 2017 où j'ai exhumé un scénario inédit « Le Palais Futin »). Certaines sont numérisées (archives Desnos sur ALMé), tandis que d'autres ne sont même pas inventoriées (j'ai retrouvé en 2017 le manuscrit du scénario Le Trésor de Prévert, Queneau et Duhamel qu'on croyait perdu mais qui se trouvait depuis 1991 dans les collections non traitées de la Cinémathèque française). Certaines archives se trouvent encore chez les ayants droit qui ouvrent volontiers leurs portes (Maison Jacques Prévert, Fatras Succession Jacques Prévert où j'ai découvert un scénario inédit, sans doute d'Aragon, Jean-Pierre Briois, ayant droit de Marcel Duhamel, Catherine Prévert (†) et Daniel Vogel, ayant droit de Pierre Prévert, Christine Chemetoff (†) ayant droit de Philippe Soupault) tandis que d'autres refusent toute sollicitation. D'autres archives encore n'ont toujours pas été localisées ou ont été perdues ou ne suscitent pas d'intérêt (Quid des archives de Benjamin Péret et de Max Morise par exemple ?).

Cette communication se propose non seulement d'analyser la difficulté d'accès à certaines archives et de faire le récit de cette quête de trésors insoupçonnés mais aussi de montrer que, grâce à ces archives retrouvées, une autre histoire du surréalisme peut s'écrire, moins centrée sur Breton et plus ancrée dans le réel.


Masao Suzuki : Maxime Alexandre et ses archives paradoxales

(Université Waseda, Tokyo)

À la Médiathèque Victor Hugo de Saint-Dié des Vosges se trouve un fonds Maxime Alexandre qui comprend d’innombrables manuscrits et documents postérieurs à la seconde guerre mondiale. Le plus impressionnant des documents conservés serait un ensemble de 500 feuilles intitulé Souvenirs de Maxime Alexandre. D’après l’indication de la couverture, il s’agit de la transcription d’une série d’enregistrements réalisés par Alexandre lui-même à la période qui va du 11 janvier au 30 avril 1966, dans lesquels il parle de tous les détails de sa vie. Mais la chronologie est souvent perturbée par des souvenirs qui surgissent quasi spontanément. Or au mois de juin de la même année, le poète commence à rédiger ses Mémoires d’un surréaliste qui paraîtra en 1968. Il a puisé dans le volumineux tapuscrit de nombreux éléments de son livre, mais son travail ne se réduit pas à la construction rétrospective d’une vie, parce que le texte publié, de même que le tapuscrit, se voit souvent troublé par l’irruption d’un passage inattendu, telle que la réflexion sur la mort d’André Breton. D’autre part, Alexandre a tenu un journal, de 1951 jusqu’à sa mort en 1976, dont une partie sera publiée un peu avant sa mort. Le journal publié est rempli de souvenirs fragmentaires et de réflexions désordonnées, mais la comparaison avec le texte original conservé à Saint-Dié nous révèle sa volonté de faire apparaître, de ses notes hétérogènes, une histoire qui justifie sa conversion. Tout se passe comme s’il était déchiré entre deux désirs opposés : celui de donner une forme claire à sa vie et celui d’amorcer tous les inattendus qui en endommagent la cohérence. D’où vient cette antinomie ?

Alexandre a toujours vécu entre deux univers opposés : le français et l’allemand, le surréalisme et la religion, le judaïsme et le catholicisme. Surtout la conversion au catholicisme, tâtonnante et jamais définitive, est le sujet de tous ses écrits autobiographiques. Chez lui le désir de se convertir pour se donner une identité inébranlable est toujours menacé par une curieuse sincérité qui le force à n’abandonner aucun de ces deux univers, sincérité qui semble venir, partiellement au moins, de l’éthique surréaliste qui nous force à dire tout ce qui survient à l’esprit. Le poète reste déchiré entre la résolution et l’automaticité.

Alexandre tente de reconstituer sa vie en partant du tapuscrit chaotique, mais la reconstitution est souvent interrompue par des événements réels. Il souhaite qu’une certaine histoire surgisse spontanément des notes fragmentaires de son journal intime, mais le devenir en est tôt ou tard suspendu par des idées survenues, inattendues. On pourrait dire que cet ex-surréaliste, qui s’impose de tout dire, a inventé un certain espace littéraire où l’œuvre et les documents ne se distinguent plus. Ici, des documents désordonnés se multiplient tout en s’opposant au désir de l’œuvre, qui persiste tout de même. On est ainsi amené à un va-et-vient infini entre l’histoire et l’événement. Les archives surréalistes, dont le fonds Alexandre de Saint-Dié est un cas à la fois typique et particulier, nous conduisent à réinventer les notions même d’œuvre et de document.


Richard Walter : Archives du surréalisme en ligne : vers le grand bouleversement ?

(UMR Thalim, CNRS – ENS – Sorbonne Nouvelle)

Sur internet, les archives avec banques d’image et bibliothèques textuelles pullulent et dans un désordre qui peut être aussi énergisant (découvrir la caverne d’Ali Baba) que décourageant (être dans un labyrinthe). Internet est très – trop – souvent le premier vecteur pour consulter ces archives. Quelle image circule alors sur le surréaliste on line ? La mise à disposition sur internet désordonnée d’archives – dont l’intérêt est à analyser – vient rebattre de nombreuses cartes dans l’historiographie du surréalisme. En quoi ce réseau modifie la compréhension voire la postérité du surréalisme ?

Certes on peut utiliser internet pour augmenter ses recherches et trouver des sources peu ou pas exploitées. Mais cela se fait à travers de nouvelles pratiques. Sur internet, la navigation par lien hypertexte fait exploser la notion classique d’archives, les relations entre œuvres, personnes, groupes, thèmes, peuvent se faire plus facilement par liens hypertextes. Mais peut‐on relier des objets qui ont été produits de façon différente dans des contextes totalement autres ? Grâce ou à cause d’internet, caisse de résonnance mondiale, l’historiographie du surréalisme évolue, la diversification actuelle des champs de recherche sur ce mouvement en est la preuve et n’est possible que par l’accès à de nouvelles archives en accès numérique et/ou web.

Notre propos sera illustré par différents exemples d’archives en ligne – ou par leur absence – dans une perspective internationale et interdisciplinaire, aussi bien que politique. La mise à disposition sur internet de ces archives concerne surtout les artistes ou les auteurs méconnus – sans copyright prohibitif – alors que les principales figures du surréalisme ont leurs œuvres « sous droits » et hors internet ? Là aussi les récits du surréalisme sont en train d’évoluer – à défaut de faire évoluer les pratiques juridiques rémunératrices ou de voir apparaitre des amateurs ou des praticiens du surréalisme sans n’avoir jamais lu les Manifestes du surréalisme.


Jordi Xifra : La numérisation des archives de Luis Buñuel de Filmoteca Española : description et contribution à l’historiographie du surréalisme et de son cinéma

(Universitat Pompeu Fabra, Barcelone)

L’Héritage Buñuel (Legado Buñuel) fut acquis en décembre 1995 par le ministère de la Culture auprès des héritiers du grand metteur en scène et membre du groupe surréaliste Luis Buñuel. Par la volonté expresse du cinéaste et de ses héritiers, ces archives que composent son héritage devaient être situées dans des institutions culturelles liées au cinéma, de sorte que, une fois décidée son affiliation à la Cinémathèque espagnole (Filmoteca Española), cette institution serait celle qui les garderait. Cependant, il fut déposé sans être catalogué. En septembre 2021, et à l’initiative du Centre Buñuel Calanda, cette fondation crée en 2000 pour préserver et promouvoir son œuvre et la Cinémathèque espagnole ont signé un accord pour réaliser des activités de catalogage, de numérisation et de diffusion de tout l’héritage de Luis Buñuel, et pour création d’une plateforme en ligne, similaire à celle qui existe par rapport aux autres artistes et écrivains. Le site de l'Atelier André Breton en fut un des modèles à suivre. Grâce à cette collaboration, les archives de Luis Buñuel peuvent désormais être consultées en ligne.

Cet héritage Buñuel est constitué de la bibliothèque personnelle du cinéaste et de ses archives, dans lesquelles est conservée une riche documentation personnelle, professionnelle et artistique, en grande partie inédite (une large série de photographies, la collection la plus complète de ses scénarios de film, une lettre de plus de 500 lettres et plus de 2.000 titres de livres et de magazines, ainsi que des coupures de presse, des documents familiaux et autres documents).

Qu’a-t-il signifié cette numérisation pour la connaissance de la vie et de l’œuvre de Buñuel et, surtout, pour la connaissance de son activité surréaliste ? Il est évident que la bibliographie existante sur le cinéaste espagnol a été construite, à quelques exceptions près, sur des sujets souvent dérivés de ses quelques déclarations du cinéaste lors d'entretiens où il était habituel, suivant son esprit provocateur, qu’il ne disait pas toute la vérité. En fait, ses conversations avec Max Aub, d’abord, puis avec Tomás Pérez Turrent et José de la Colina, ont été les munitions qui ont servi à définir le personnage que Buñuel a voulu créer. Désormais, grâce à l’accès en ligne à son héritage, les chercheurs et les personnes intéressées pourront retracer les lumières et les ombres de la vie et l’œuvre de Buñuel au-delà de ses déclarations, ce qui représente une avancée dans la connaissance de ces deux facettes du plus important représentant du cinéma surréaliste et un progrès aussi pour surréalisme en général.

En plus, l’accès aux scénarios qu'il a utilisés dans ses tournages offre un aperçu unique et exceptionnel du processus créatif de son cinéma. Buñuel fut fidèle au surréalisme jusqu'à sa mort, offrant au spectateur de véritables œuvres surréalistes tant au début qu’à la fin de sa vie. Même s’il est vrai que durant sa période mexicaine il a dû réaliser de nombreux films mélodramatiques loin de l’esthétique surréaliste, sa capacité de provocation et sa dénonciation sociale ont toujours été présentes et, dans certains cas, il a su inclure un plan ou une scène absolument buñuelienne. Pouvoir accéder à ces scénarios offre l’opportunité d’apprécier le processus créatif de l’un des principaux représentants du mouvement surréaliste.

En conséquence, nous exposerons ce processus de numérisation et nous analyserons comment il peut contribuer à l’ouverture de nouvelles perspectives pour le chercheur et pour l’amateur ou passionné du cinéma surréaliste et du surréalisme tout court, mettant en lumière plusieurs aspects que l’historiographie officielle du surréalisme ignorait sur le cinéaste aragonais et sur quelques-uns des autres membres, car un de ces aspects porte sur les rapports qu’il entretenait avec le reste d’artistes et écrivains du groupe.


Gabriela Ziakova : Archives des surréalistes en ex-Tchécoslovaquie

(Université de Bordeaux-Montaigne)

L’archivage diurne et nocturne des témoignages de l’existence individuelle ou collective est l’un des éléments constitutifs des activités des surréalistes par lesquelles ils entendent contribuer à l’élaboration d’une civilisation nouvelle. Le périmètre de notre exploration, que nous ne ferons qu’esquisser, comprend ainsi les archives (lieux, fonds, documents et leur accès) et la mise en archives par les surréalistes en (ex)Tchécoslovaquie, puis en Slovaquie et en Tchéquie dans la seconde moitié du XXe siècle et les premières décennies du XXIe. Sans amoindrir l’importance de l’apport des humanités numériques et leur impact, nous interrogerons de manière critique les dispositions des historiens à travailler avec les matériaux d’archives des surréalistes : une bonne partie des sources disponibles semble être délaissée voire dédaignée.

En premier lieu, du côté des contrées tchécoslovaques, puis tchèques et slovaques, que l’archivage soit collectif ou individuel, il se matérialise en toutes circonstances. Nous en dessinerons les contours et présenterons brièvement les archives internes dudit Groupe de Prague ainsi que quelques modalités de diffusion de certaines d’entre elles auprès du grand public.

Ensuite, nous évoquerons les destinées du fonds de Vratislav Effenberger, après sa mort à Prague en 1986. Enfin, nous partagerons notre propre expérience de « gardienne » des archives privées d’Albert Marenčin, qui restent dans l’appartement de la famille à Bratislava après sa mort en 2019.

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